header incubation

L’incubation, un accompagnement pour mûrir des projets innovants

Art citoyen
19 mars 2024

Encourager concrètement la diversité des expressions culturelles sur son territoire,  définir des priorités pour donner aux citoyens un rôle actif, intégrer des artistes,  approfondir sa connaissance du terrain, créer des liens entre acteurs d’horizons divers pour les engager sur la voie de la médiation et de la démocratie culturelle… : de nombreux projets ont besoin de tester leurs intuitions, d’affiner leur démarche ou de l’approfondir avant de se déployer. Ce temps et ce travail de maturation, souvent invisibilisés mais essentiels pour créer les conditions d’une réalisation adaptée à son territoire, nous avons fait le choix d’y porter une attention particulière en soutenant des projets en phase d’incubation. Ainsi, l’appels à projets « Médiations et démocratie culturelle » a soutenu en 2020 et 2022, 9 projets en incubation dans les Hauts de France. Rencontre avec deux d’entre eux.

 

Encourager les pas de côté

Les financements impliquent souvent de pouvoir présenter un projet solide, construit, éprouvé par des acteurs clairement identifiés. Or, pour lancer des dynamiques locales citoyennes, porteuses de sens et de potentiel de transformation en matière de médiations et de démocratie culturelle, le chemin peut s’avérer long et ardu, au risque du découragement. Pour encourager ces initiatives et les accompagner vers un financement de leur mise en œuvre effective, la Fondation a prévu dès le lancement de son appel à projets dans les Hauts de France, d’intégrer des lauréats en phase d’incubation. « L’idée est d’inciter les porteurs de projets à faire un pas de côté, à travailler et expérimenter des intuitions, et à ne pas se priver de perspectives » indique Réjane Sourriseau, maître de conférences associée à l’Université de Lille, en charge d’une évaluation à paraître prochainement. Concrètement, les projets sélectionnés sont financés et accompagnés dans cette période particulière : « Ce sont des projets complexes ou en manque de maturité. Nous leur apportons de l’extériorité, des méthodes de réflexion et de reformulation, un temps de recul pour les aider à avancer » poursuit Réjane Sourriseau. « Il ne s’agit pas de fournir des conseils clés en main, mais une écoute, un cadre qui s’adapte aux objectifs et situations rencontrées. »

Dans l’agglomération de Dunkerque, les droits culturels au travers de l’expérimentation artistique

Pendant deux ans, les habitantes et habitants du quartier du Petit Steendam à Coudekerque-Branche, ont été invités à se réapproprier collectivement leur territoire en devenant des acteurs culturels à part entière. Avec la complicité de structures locales et d’artistes en résidence, ils sont plus de 430, âgés de 8 à 75 ans, à s’être exprimés, rencontrés, à avoir inventé et participé à des actions variées dans l’espace public en 2021 et 2022 : ateliers d’écriture et de lecture, portraits situés, reportages in situ par des reporters en herbe, réunions, performances… L’arpentage a été au cœur de ce projet intitulé « Déplis » : « Nous avons choisi de travailler à l’échelle piétonne et à partir de la marche, en prenant le temps de l’observation et le temps de la rencontre, en allant voir, en cheminant ensemble. De fait, une attention particulière a été portée à ce qui existait déjà dans le quartier et à ce qui s’y passait. Notre intention était de mettre en pratique la question des droits culturels tels qu’ils sont définis dans la Déclaration de Fribourg rédigée en 2007. Il s’agit de permettre à toute personne seule ou en commun de faire reconnaître ses droits en matière d’identité, de diversité, de patrimoine, de communauté, d’information, d’éducation, de participation et de coopération » indique le dossier de présentation du projet.

Ce projet a pu voir le jour après plusieurs mois d’incubation financés par la Fondation Daniel et Nina Carasso, avec son appel à projets qui a servi en quelque sorte de déclencheur à un groupe d’agents de la Communauté Urbaine de Dunkerque et d’acteurs de différents champs (art et culture, éducation populaire, urbanisme, action publique). Ils y ont vu une opportunité se confronter collectivement au terrain après une formation-action sur les droits culturels.  « Cette phase nous a permis de démarrer une expérimentation sans obligation de résultat ni de forme prédéfinie » explique Anne Rivolet, Directrice site de Dunkerque, Ecole supérieure d’art du Nord-Pas de Calais/ Dunkerque-Tourcoing (ESÄ). « Nous avons pu défricher le territoire et surtout être dans une réelle co-élaboration horizontale avec des structures, des habitants et des artistes, toutes et tous intégrés dès la conception du projet. »

 

Ainsi, pendant cette période et malgré le Covid, plusieurs explorations et rencontres ont permis de choisir collectivement le quartier du Petit Steendam, comme terrain du projet. Le groupe initial d’acteurs, augmenté des artistes invités, a approfondi sa connaissance et sa compréhension partagée des enjeux et du déroulement du projet, construit une confiance mutuelle au sein du collectif et affiné la méthodologie. Les premiers arpentages avec les habitants et une rencontre publique ont fait remonter des pistes de travail, un groupe d’étudiants de l’Ecole supérieure d’art de Dunkerque a été intégré au processus, le blog de récit du projet par l’artiste Valérie Gautier a démarré… Aujourd’hui, le projet est terminé mais il poursuit sa vie sous forme de partage d’expérience grâce aux outils produits : film « La ligne des dunes », l’almanach, le blog, les podcasts. « Nous sommes maintenant dans la transmission » conclue Anne Rivolet.

 

« Ce type de soutien engagé est très important pour agir sur la voie de la démocratie culturelle. Il donne du temps, de la liberté et de la confiance, ingrédients indispensables au développement de la capacitation citoyenne, avec des effets à long terme. »

Anne Rivolet, Directrice site de Dunkerque, Ecole supérieure d’art du Nord-Pas de Calais/ Dunkerque-Tourcoing (ESÄ)

Dans l’Aisne, la poésie rassemble et bouscule l’illettrisme

Direction Fère-en-Tardenois, dans le sud de l’Aisne. Dans ce vaste territoire rural, peu doté en structures culturelles et marqué par un fort taux d’illettrisme, la compagnie ALIS a développé un projet artistique avec et pour les habitants en grande difficulté de lecture et d’écriture, mais aussi impulsé une dynamique solidaire entre acteurs d’horizons différents. Au cœur de cette démarche citoyenne, des typobaladeurs, machines itinérantes permettant de fabriquer de micro-spectacles poétiques imprimés sur un ticket et distribués au gré des rencontres et à l’occasion d’évènements. Sans prétendre constituer une démarche d’apprentissage de la lecture ou de la langue française, ils invitent de manière ludique, à découvrir l’univers des mots à et partager le plaisir qu’ils peuvent procurer grâce à la poésie à 2 mi-mots, dont Pierre Fourny, fondateur de l’association, est l’inventeur. Alors que la compagnie diffuse ses spectacles et performances depuis de nombreuses années, l’objectif du projet présenté à la Fondation est de permettre à des habitants et habitantes a priori éloignées des pratiques culturelles et en difficulté de lecture, de s’approprier le processus de création lors d’ateliers artistiques : geste chorégraphique, création de vidéos, manipulation de la poésie à 2 mi-mots, expression orale et écrite…

« Cette phase d’incubation a permis d’affiner notre démarche, inspirée de notre expérience dans le département du Nord, et de l’adapter au contexte local » souligne Pierre Fourny. Ce temps a en effet permis d’identifier et de mobiliser des partenaires dans le champ culturel et social, de mesurer la complexité de la mise en œuvre du projet, d’en préciser des points essentiels. Car l’ambition était à la mesure de l’enjeu : convaincre les politiques de la capacité d’un projet artistique à apporter des réponses pertinentes et efficaces à une problématique lourde, construire un réseau d’acteurs sociaux œuvrant avec des intervenants culturels, élaborer une approche pour identifier et faire participer des personnes en situation d’illettrisme, souvent dans le déni ou dans l’invisibilité, etc. Deux voyages d’études ont été organisés par l’équipe : « Élus et techniciens ont pu observer et s’inspirer de bonnes pratiques des différents opérateurs culturels et acteurs sociaux dans la lutte contre l’illettrisme dans l’Avesnois » explique Natacha Thaon Santini, productrice. ALIS a également tissé des liens locaux, notamment avec des institutions de formation accueillant des personnes en situation d’illétrisme, des médiathèques et avec le Crii (Centre Ressources illétrisme et illectronisme). Les typonomades se sont aussi enrichies d’une version numérique avec des tablettes interactives. Enfin, à l’occasion d’un second financement, la compagnie a mis en place à Château-Thierry, Fère-en-Tardenois et à Villers-Cotterêts en 2022 et 2023, des « laboratoires dramaturgiques » à destination d’artistes amateurs en difficulté́ avec la lecture.

Gardons le contact !
Quel(s) est/sont le(s) sujet(s) qui vous intéresse(nt) ?