Les premières Rencontres de l’alimentation durable organisées à Madrid en octobre dernier, sont revenues sur les évolutions de l’agriculture, de l’alimentation et des habitudes de consommation de nos voisins ibériques, au regard des enjeux du réchauffement climatique et de la justice sociale. Ici comme en France, les acteurs du monde agricole et alimentaire, privés et publics, expriment la nécessité impérieuse de transformer notre système de production et de consommation alimentaire pour l’engager pleinement en faveur de la santé de la planète et des personnes. Quel poids des politiques publiques ? Quel impact de la Politique Agricole Commune (PAC)? Quelles marges de manœuvres au niveau local ? Comment rendre le système alimentaire plus juste et plus durable ? Telles sont les préoccupations qui unissent les acteurs au-delà des frontières. Malgré des différences structurelles, nous pouvons y puiser des sources d’inspiration précieuses.
Unoconcinco, un nouvel espace de dialogue sur l’alimentation durable en Espagne
Dans la lignée des Rencontres de l’alimentation durable organisés en France depuis 2016, la Fondation en Espagne a créé « unoconcinco », en octobre dernier. Représentants des pouvoirs publics, des acteurs économiques, de la recherche, du monde agricole et associatif étaient réunis à Madrid pour dialoguer, partager des idées et tisser des alliances autour d’un même objectif : la transition vers une alimentation durable. Proposant une diversité d’angles de vue à travers des tables rondes et ateliers, cette première édition a rassemblé près de 300 participants. « Avec cet événement, nous avons voulu partager une volonté de changement et d’accélération de la transition » souligne Marie-Stéphane Maradeix, Déléguée générale de la Fondation Daniel et Nina Carasso. » Unoconcinco a rassemblé des visions et des approches différentes afin de construire des systèmes plus résilients face aux incertitudes. C’est sans aucun doute un espace de dialogue, d’apprentissage et d’inspiration. »
Des acteurs en quête de changement
Dans le contexte actuel de crise sanitaire, économique et maintenant aussi alimentaire, exacerbée par la guerre en Ukraine, les politiques publiques sont un levier puissant pour promouvoir la transformation vers un système alimentaire durable. Ainsi le ministre de la Consommation présent, Alberto Garzón a insisté sur le fait que « l’alimentation en tant que marchandise doit être remplacée par l’alimentation en tant que droit. » Carmen Pérez, présidente de la Société espagnole de nutrition communautaire, a rappelé quant à elle, que les produits frais et locaux seront toujours une meilleure alternative pour la santé des personnes et de la planète. « Les consommateurs doivent disposer d’une option saine à un prix abordable et, parallèlement, le producteur doit recevoir un prix équitable pour son travail« , a-t-elle déclaré. La perte de lien entre habitants des villes et campagnes mais aussi le constat de l’abandon progressif du régime méditerranéen ont également alimenté les discussions.
Côté agriculteurs et éleveurs, l’un des plus grands défis est le renouvellement des générations. Une étude révèle ainsi que 70 % des personnes ayant récemment rejoint le secteur agricole « déclarent que l’un des principaux problèmes est la rentabilité de leur entreprise, ainsi que les procédures bureaucratiques et l’accès aux terres ».
La nouvelle donne impulsée par la politique européenne, les acteurs locaux et l’investissement à impact
Dans le cadre de de la PAC, il est estimé que l’Espagne bénéficiera de 7 milliards d’euros au cours des 5 prochaines années, dont une grande partie sera consacrée à l’action climatique. La stratégie européenne « De la ferme à l’assiette » propose de réduire les pesticides de 50 % et prévoit une augmentation de la superficie consacrée à l’agriculture biologique. Quelques exemples de politiques au niveau régional, local et étatique vont actuellement dans ce sens comme le Conseil municipal de Valence qui a décidé de préserver la région de l’Horta en défendant le jardin maraîcher contre la croissance urbaine, ou Ecocomedores de Canarias, qui promeut l’alimentation biologique, locale, fraîche et de saison afin d’assurer sécurité alimentaire, durabilité économique et sociale du territoire. La Coalition pour une autre PAC, représentée par Celsa Peiteado, alerte : « Nous ne devons pas nous contenter d’un modèle qui ne nuit pas, nous avons besoin d’une politique agricole commune qui assure un revenu décent à ceux qui produisent.«
L‘investissement à impact peut également faire partie de la solution. Des fonds tels que le celui créé avec Quadia (FDNC-SFS) ou Creas ont montré qu’il était nécessaire d’investir dans des initiatives systémiques du secteur alimentaire ayant un fort impact social.
Et en France ?
« Ces premières Rencontres en Espagne ont montré la dynamique et l’enthousiasme de l’écosystème espagnol, dont les espaces de concertation et de co-construction entre acteurs restent trop rares » commente Mathilde Douillet, Responsable axe Alimentation durable France. La présence et le discours du ministre espagnol de la Consommation, appelant notamment à un droit à l’alimentation, ont été un signal fort du point de vue politique. En France, l’avis rendu par le Conseil National de l’Alimentation en octobre 2022, instance consultative placée auprès du gouvernement représentant l’ensemble des acteurs des systèmes agricoles et alimentaires, recommande également d’établir le droit à l’alimentation en France. « A ce jour, cela n’est pas repris à un niveau politique équivalent à celui de l’Espagne. »
Cependant en France comme en Espagne, ce type de rencontres montrent l’existence d’un grand nombre d’acteurs engagés, de secteurs et de sensibilités politiques différents, autour desquels la Fondation Daniel et Nina Carasso souhaite poursuivre des dynamiques pour transformer le système alimentaire vers plus d’inclusivité, de respect des humains et du vivant. Ainsi la 4ème édition des Rencontres de l’Alimentation durable en France aura lieu à l’automne 2023. A suivre !
